Qu’est-ce qu’il faut savoir à propos de l’effectuation ?
Est-ce l’opposer l’étude de marché ? C’est ce qu’on va découvrir dans cet article.
Il faut que je vous parle de « l’effectuation » : un sujet sur lequel vous êtes peut-être tombé pendant vos recherches. C’est un concept qu’il est de bon ton d’aborder dans les cocktails d’affaires. Si vous ne savez pas ce que ça veut dire, rassurez-vous, c’est fait pour ça ! Ça fait encore plus chic !
En fait, on fait semblant d’opposer l’étude de marché – qualifiée de laborieuse et inadaptée – à l’effectuation – jugée plus moderne et pragmatique; en gros, il s’agit de faire son business plan au fur et à mesure que l’on avance, après que l’on a créé l’entreprise, partant du principe que rien ne se passe comme on peut l’imaginer avant de démarrer.
Ceux qui soutiennent cela ne sont généralement pas des entrepreneurs, car dire qu’on n’a pas besoin de faire une étude de marché pour réussir, c’est plus facile quand on ne risque pas son propre argent dans une création d’entreprise !
Etude de marché d’abord, effectuation ensuite
Je vais vous expliquer tout cela dans le détail, mais je vous donne tout de suite la solution qui réunit les points de vue :
Il faut absolument faire une étude de marché complète pour entreprendre en sécurité (pour décider d’y aller et comment), mais quand on démarre en testant son idée en grandeur nature, il faut se confronter aux plus grands dangers le plus vite possible, pour rectifier le tir dans la bonne direction, car effectivement la réalité n’est jamais exactement comme on prévoyait.
En revanche, se dispenser d’une étude de marché approfondie et commencer en mode effectuation, c’est comme avancer dans une forêt les yeux bandés sans avoir consulté de relevés topographiques. Sous prétexte qu’on ne peut pas tout voir correctement à l’avance, on se contente d’étendre les bras et de toucher les arbres ou d’avancer les pieds en tâtonnant, on s’adapte au dur à fur mesure des obstacles et opportunités.
La start-up est-elle une entreprise comme les autres ?
On parle souvent des concepts tendances pour les starts-up, mais il n’y a pas de grosses différences dans les méthodes pour réussir. Dire que l’on veut monter une start-up cache souvent l’idée que l’on veut faire quelque chose de créatif et qui va connaître un grand succès juteux. Il n’y a rien de mal à ça, tout au contraire si c’est bien aligné avec vos vraies priorités personnelles et pas seulement pour faire bien dans les dîners.
Mais un business est toujours un business, et faire une startup ne veut pas dire qu’on peut et même doit brûler des étapes, comme il est trop souvent suggéré par les recensions de presse.
Ce que veut dire très précisément “start-up” c’est que moyennant un investissement important au départ (élaboration et évangélisation notamment) on peut atteindre des effets d’échelle très importants très rapidement qui font que chaque client supplémentaire ne coûte presque rien en terme de coût marginal; tout est dans les coûts fixes, les coûts variables sont négligeables. Donc quand les ventes prennent leur envol – start up – les marges croissent encore plus vite, et les profits avec.
Cependant ces modèles sont tout autant risqués qu’ils sont rentables; d’où les recherches d’investisseurs spéciaux intéressés par ce type de profil de placement (« venture capital »).
Mais pour les levées de fonds, il y a beaucoup de candidats et peu d’élus, donc si l’on veut vraiment entreprendre mieux vaut appliquer les méthodes les plus prudentes pour démarrer sans préjuger des financements que l’on va obtenir. C’est même bien vu des investisseurs. Ils aiment bien les dirigeants qui font preuve d’efficience, qui savent faire beaucoup avec peu, et qui sauront faire de la marge avec leur argent.
D’ailleurs, on peut faire une start-up sans levée de fonds, on appelle cela dans l’industrie logicielle une “ISV” (Independant Software Vendor); c’est-à-dire une entreprise dirigée par son fondateur et qui vit de l’argent de ses clients, et pas une start-up qui dépend de l’argent des investisseurs et dont le patron doit constamment rendre des comptes et prendre ses ordres auprès des financiers, qui finissent par le débarquer quelques années plus tard quand l’entreprise est « normalisée », pour placer un dirigeant “professionnel”.
L’histoire du prototype
Un super article de Yevgniy Brikman auteur de l’ouvrage “hello startup” , explique bien la mauvaise interprétation de l’effectuation. Je vous résume sa position :
C’est toujours la même histoire avec les start-up : un créateur d’entreprise ou une équipe de fondateurs arrivent avec une idée géniale. Ensuite, ils construisent une première version viable du produit (MVP = “Minimum Viable Product” en anglais, un prototype vendable en fait), le testent sur le marché, l’adaptent et sortent la version finale et commercialisent à grande échelle avec une vitesse de diffusion extraordinaire (comme Twitter) …
Sauf que cela ne se passe jamais comme ça ! (comme pour Twitter ;-))
Le problème c’est que ces équipes ne comprennent pas ce qu’est le MVP. Ce n’est pas juste un produit simplifié pour sortir plus tôt. En fait, cela n’a même pas besoin d’être un produit… et ce n’est surtout pas un truc que vous faîtes une fois pour toutes au démarrage…
La version viable à minima est un processus que vous répétez encore et encore :
- vous identifiez votre hypothèse la plus risquée
- vous trouvez la plus petite expérimentation possible pour tester cette hypothèse
- vous utilisez les résultats de l’expérimentation pour rectifier votre feuille de route
Quand vous fabriquez un produit, vous faîtes beaucoup d’hypothèses
- vous supposez que vous savez ce que recherchent les utilisateurs
- comment le produit doit être conçu
- quelle stratégie marketing adopter
- quel est le processus de production adapté
- quel modèle économique sera viable et durable
- quelles réglementations appliquer
- etc.
Quelles que soient vos compétences, plusieurs de vos hypothèses seront fausses …
Ce n’est pas rédhibitoire, le vrai problème c’est que vous ne savez pas lesquelles !!!
La plupart des start-up échouent tout simplement parce qu’elles n’ont pas vu qu’il n’y a pas de marché pour leur produit !
Le cabinet CB Insights a calculé que la première cause d’échec d’une start up (42% des cas) est qu’il n’y a pas de marché pour ses produits ! Et cette raison arrive loin devant la deuxième, plus évidente, qui est de manquer d’argent pour continuer (29%).
Donc, près de la moitié de ces entreprises passent des mois et même des années à concevoir un produit avant de se rendre compte qu’elles étaient à côté de la plaque pour l’hypothèse la plus centrale de leur création d’entreprise : est-ce que quelqu’un va être intéressé par mon produit ?
La seule façon d’y voir clair au plus tôt est de montrer votre produit ou service à des vrais utilisateurs. Et quand vous le faîtes, vous vous rendrez compte qu’il faudra souvent reprendre presque tout à zéro. En fait, vous voudrez compte que ce retard à la case départ devrait être fait de multiples fois.
Si vous voulez ne pas faire des essais-erreurs pendant des années …
Comme on ne sait pas trop comment s’y prendre, et que cela paraît laborieux ou coûteux, on préfère se lancer tout de suite dans la conception ou finalisation de l’offre de produit ou service, en prétextant que le produit est trop innovant pour faire une étude de marché, que c’est l’offre qui va créer la demande (genre Facebook).
Et pour les marchés qui n’existent pas encore ?
C’est un vrai sujet et d’ailleurs, il y a même un livre … d’universitaire … qui a été écrit là-dessus.
En fait, on réalise quand même une étude de marché parce qu’il y a un besoin à analyser, il doit y avoir une demande à quantifier (des clients prêts à payer pour une solution à leur problème), il y a quand même des concurrents (les solutions actuelles, même insatisfaisantes, pour régler le problème), etc …
Je parle d’un problème à régler, car comme disent les gens de marketing en déformant le sens de l’expression anglo-saxonne « no pain, no gain » : pas de problème à régler, pas de profit à réaliser.
Pourquoi et comment réaliser une étude de marché … « sans marché » ?
- certes vos clients ne sont pas toujours capables de décrire le produit qui les comblerait, sinon il existerait déjà …
- mais ils savent décrire les problèmes qu’ils aimeraient voir réglés dans leur vie et pour lesquels ils seraient prêts à payer pour trouver une solution.
- ils peuvent décrire ce qu’ils attendent, en général c’est toujours du gain de temps, d’argent, de simplicité; mais ce qui est intéressant c’est de savoir comment, combien, sur quel aspect, à la place de quoi, etc.
- et c’est à partir de ces contraintes que vous allez être créatif pour apporter de la valeur au marché visé (préalablement quantifié pour vérifier que vos investissements vont être rentables)
- connaître tous ces éléments, et bien d’autres, va vous permettre de taper au plus juste dès le départ.
Le prototype … pas trop tôt …
Avoir un MVP avant cela, risque de vous faire perdre des opportunités d’innovations, parce que vous aurez une idée trop préconçue. Essayez d’oublier votre idée de départ, et écoutez votre marché sans trop de préjugés. C’est une fois ce travail fait, que vous pourrez élaborer votre MVP et appliquer l’effectuation.
Cela n’est pas réservé à la création d’entreprise. Toute création humaine dans le monde réel nécessite un énorme travail d’essai-erreur; loin de l’image d’Epinal du créateur génial qui pond toute son œuvre d’un trait. Même Flaubert disait que le génie c’est 5% d’inspiration et 95% de transpiration !
En résumé
Dans ce jeu d’essai-erreur, celui qui gagne est celui qui comprend ses erreurs le plus vite. C’est pourquoi certaines personnes appellent cette approche « plantez-vous vite ! » (« fail fast » … si possible avec l’argent des autres …). Il y a plein de façon de formuler cette idée : chez TripAdvisor ils disent « c’est la vitesse qui gagne » (Speed wins), Eric Ries a lancé le concept du Lean, Ken Beck et d’autres ont popularisé la notion d’agilité, certains en France parlent pompeusement d’effectuation, etc.
Quelque soit la façon de nommer cette approche, il s’agit d’identifier quelles sont vos hypothèses erronées en obtenant des retours de votre marché.
Et comment fait-on cela ? En se posant 2 questions :
- Quelle est mon hypothèse la plus risquée ?
- Quelle est l’expérimentation la plus rapide que je peux faire pour la tester ?
Et au lieu de prendre des hypothèses en chambre, vous prenez les conclusions de votre étude de marché. Car même les conclusions d’une étude de marché sont des hypothèses de départ, même si elles sont de loin moins risquées que des hypothèses fondées sur votre intuition.
Voilà ma vision du sujet. Maintenant, tout se discute et j’attends vos commentaires, surtout si vous ne partagez pas cette idée 😉
Ah ! J’oubliais, si vous faîtes partie des gens qui pensent comme moi qu’une étude de marché est encore indispensable – bouh ! les ringards ! – ne manquez pas de faire un tour sur la page de présentation de ma formation, vous pourrez profiter des premières leçons gratuitement. Et n’oubliez pas de faire le plein de conseils avec mes livres téléchargeables gratuitement.
Une vidéo sélectionnée sur l’effectuation pour enrichir votre réflexion :
Avec Philippe Silberzahn, professeur d’entrepreneuriat, stratégie et innovation à l’EM Lyon
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